Voici le récit émouvant d'une famille vivant à Villers-Guislain durant la première Guerre Mondiale

et retraçant régulièrement la vie des habitants sur la période

du 1er Janvier 1915 au 30 Avril 1917

Un grand merci à Mr Erik BASQUIN qui nous fait partager ce document unique

 

 

TRADUCTION :

VILLERS GUISLAIN 1915
JOURNAL
Année 1915
Vendredi 1erJanvier 1915
Nous commençons l’année bien tristement ! la guerre déclarée le 2 aout s’éternise. Depuis plusieurs mois, les allemands installés à VILLERS GUISLAIN et villages voisins réquisitionnent les hommes valides de 15 à 60 ans pour les faire travailler à la ligne du chemin de fer aux environs de BAPAUME, au-delà duquel on se bat chaque jour. Aujourd’hui encore le canon tonne sans relâche, et quoiqu’éloigné, il fait trembler nos fenêtres. Malheureusement nous sommes sans nouvelles de nos pauvres soldats et de l’état actuel de la guerre, l’incertitude nous étreint le cœur. Triste jour de l’an.
Mon Dieu ayez pardonné-nous nos péchés qui ont attiré vos justes châtiments. Nous prenons la résolution de vivre désormais d’une manière plus conforme à votre sainte loi.
Samedi 2
Sur dénonciation de quelques malheureux, les allemands ont découvert une cachette remplie de vin chez LALISSE, honte aux envieux, traites, vin trouvé chez Auguste BARBERE.
Lundi 4
Aujourd’hui c’est chez Mr Catherine GAVE qu’on prend tout le vin qu’on trouve. On enlève quantité de fer chez Félix AUBERT, chez PETIT Augustin et des objets de quincaillerie chez BARBARE Martial.
Mardi 5
Combat sur toute la ligne PERONNE, BAPAUME, ARRAS. Ici réquisition de 5 chevaux. Un prête allemand a ce soir confessé bon nombre de soldats, il dira demain sa messe après Monsieur le Curé.
Mercredi 6
Messe chantée à 7 heures pendant laquelle une trentaine d’allemands ont chanté des cantiques avec accompagnement d’harmonium, ils ont communié, beaucoup de tenue et de recueillement. Nos soldats ont-ils le bonheur d’être soutenus par les secours de la religion ?
Samedi 9
Depuis quelques jours les allemands ont essayé en vain de prendre ARRAS, le combat parait- il eu été meurtrier. À défaut de cette ville pour l’offrir en hommage à la fête de Guillaume, ils lui ont envoyé un ou plusieurs trains de poulains. VILLERS GUISLAIN en a donné 24 pour la part.
Dimanche 10 Janvier 1915 Hier soir projections lumineuses très forte direction de BAPAUME ; aujourd’hui le canon tonne vers PERONNE.
Dimanche 17 La semaine s’est passée sans incident marquant. Hier soir les allemands ont annoncé un léger succès, il faut voir. Ce matin ils sont partis en grand nombre conduire des munitions du coté de BAPAUME. De ce fait le pasteur protestant qui avait annoncé son passage à 10 heures aujourd’hui n’a pas dû avoir un fameux auditoire à son prêche. Notre grand-messe n’en a pas moins été remise à 11 heures.
Dimanche 24 Rien d’important dans la semaine. Thérèse DUBOIS à 6 mois aujourd’hui, elle est née à SECLIN le lendemain des funérailles de ma chère maman. Hélas son pauvre papa Fernand est parti 8 jours après la naissance de son enfant ! cousine germaine nous le rappelle dans une lettre qu’elle a eu l’occasion d’envoyer hier.
Mardi 26 JANVIER Grand émoi en voyant rentrer en masse les civils voisins partis de VILLERS GUISLAIN et des villages voisins depuis avant Noel pour travailler. Quand verra t’on revenir nos braves soldats ? hélas ! combien manqueront à l’appel.
Jeudi 28 Vers 10 heures, grosse alerte ! une compagnie de cyclistes allemands accompagnée d’une auto arrivait par EPEHY et s’arrêtait près de la chapelle saint ROCH. On se demandait ce que cela pouvait être, c’était des égarés, déployant leur carte, ils demandèrent la route du CATELET et repartirent par la traverse. Nouvelle revue des chevaux. On en a pris 6
Dimanche 31 JANVIER Septuagésime Le froid est très vif, on se croirait au 1er jour d’hiver. Le vent souffle et la neige tombe, c’est quasi la 1ere de l’hiver, triste temps pour nos pauvres soldats. Pourtant on entend le canon au loin direction CAMBRAI.

TRADUCTION :
VILLERS GUISLAIN 1915
**JOURNAL **
FÉVRIER 1915
Lundi 8 Février
Toujours même situation, depuis quelques jours, il semble que le combat soit plus acharné, toujours direction de PERONNE et BAPAUME, le canon gronde nuit et jour. Aujourd’hui la colonne 39 qui séjournait ici depuis le 4 décembre est partie et on nous annonce de l’infanterie pour bientôt, il n’y a donc pas lieu de se réjouir. Nous ne voulons cependant pas nous alarmer.
Nous nous remettons entre les mains de DIEU, il ne nous arrivera que ce qu’il voudra bien permettre, que sa sainte volonté soit faite.
Mardi 9
Le village est rempli de voitures, chevaux etc… L’infanterie arrive vers le soir 1500 hommes pour VILLERS GUISLAIN, ici nous avons un Officier et son ordonnance. Très convenable.
Vendredi 12
Dans quel temps vivons-nous !!! aujourd’hui on enterrait Mme Elisée CHOCU, presque ma voisine et je ne la savais pas morte !... C’est qu’on sort plus presque de chez soi. Cependant la rue est remplie de monde, on se croirait dans une grande ville, mais tous ces promeneurs sont des allemands.
Dimanche 14
Toute la grande nef de l’église, et la tribune sont occupées par les soldats à la messe de 8 heures, tenue excellente, chants édifiants avec accompagnements, si nous savions que nos français prient ainsi à l’armée !!! oh mon DIEU bénissez les tous, tous ils sont tous vos enfants !
Mardi 16
Qui se douterait qu’on est au carnaval ? l’animation est grande cependant dans les rues. Ce matin messe à 7 heures pour les soldats célébrés par un prête allemand, l’église était trop petite, beaucoup sont restés dehors.
Dimanche 21
Nouveau spectacle édifiant à la messe de 8 heures, beaucoup plus de soldats que dimanche dernier. Oh ! pourquoi sont-ce nos ennemis qui prient ainsi !
Vendredi 26 Février
Le canon resté muet depuis quelques jours recommence à tonner direction BAPAUME


MARS - AVRIL 1915
Vendredi 5 MARS
3 hommes :
Arthur DUBOIS, Hubert et Paul NOBLECOURT sont partis pour travailler sur les routes du coté de BAPAUME, pour remplacer les autres qui sont revenus.
Dimanche 7
1600 hommes d’infanterie arrivent d’Allemagne, ce sont presque tous des enfants, à les voir. On m’en donne 10 pour ma part, j’ai dû déménager les meubles de la salle
Jeudi 11
Hier le canon a grondé toute la journée, aujourd’hui silence. Ce matin une longue colonne de caissons à passer allant dit-on chercher des munitions. A CAMBRAI les allemands arrivent en masse. Hier Charlet NERE y est allé et a reçu une lettre de son fils prisonnier, le fils Elise COCRELLE y est aussi et un autre. Nos petits jeunes gens font sans cesse l’exercice, ils ont fait des tranchées dans les champs derrière notre jardin, qu’il est désolant de penser qu’ils s’exercent à se faire tuer et à tuer nos pauvres enfants de l’autre côté de la ligne.
Dimanche 14
Tous nos hommes sont partis ce matin. Sommes-nous libres pour longtemps ?
Mercredi 17 MARS
Arthur et Hubert sont rentrés, ils n’ont pas travaillé s’étant portés malades. Toute la journée ainsi qu’hier, le canon n’a cessé de gronder.
Jeudi 25
Cette nuit a été mouvementée par l’arrivée de l’artillerie allemande, il semble que tout ne soit pas arrivé.
Jeudi 1er AVRIL
Une fois encore la commune est libérée de ses hôtes. Ils sont partis hier soir pour CAMBRAI et de là où ? nous l’ignorons, voilà trois jours qu’on n’entend pas le canon.
Vendredi 9
Les allemands sont venus aujourd’hui enlever l’orge des brasseries et défense par conséquent de brasser. Comment ferons-nous notre pain sans levure ? depuis 8 jours je mouds du blé dans un moulin à café et je fais du pain, celui que je fais avec la farine des allemands est très mauvais.
Samedi 17
On est revenu au pain blanc, mais aujourd’hui on fait queue aux boulangeries pour en avoir. Craint-on d’en avoir à volonté la semaine prochaine, parce qu’une nouvelle colonne arrive ce matin ?
Lundi 19
Les allemands qui sont ici paraissent bien tranquilles. Aujourd’hui ils sont installés de nouveau à la forge Félix. Ils ont dit ne pas vouloir coucher dans la maison, ils ont bien raison, il y fait trop triste.
Jeudi 22 AVRIL
Grand émoi dans la grande rue, depuis hier les charriots de réquisitions vont de porte en porte, blé et avoine des fermiers sont enlevés ou qu’ils se trouvent. Toutes les maisons sont visitées de fond en comble. Ici pas un recoin de la cave et des greniers n’a été oublié, mais comme il n’y avait rien pour les allemands ceux-ci n’ont rien emporté.


Mis à jour ( Mardi, 02 Mars 2021 09:39 )